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Les Charbonniers

Vers 1890, un auteur très peu connu, Camille Mulley édita une brochure de 160 pages, dont le but était de nous parler de ce coin de Puisaye qu’est le canton de Saint-Fargeau. C’est l’histoire d’une colonie de vacances composée de petits parisiens, venant passer un mois à la campagne. Au cours de leurs différentes promenades dans le secteur, l’occasion se présenta de leur faire connaître l’Etang Lelu.
L’auteur nous narre ce chapitre de cette façon : "… On enfila la route forestière de l’étang Lelu. Après une demi-heure de marche, la colonie, longeant la maison forestière du Fourneau, débouchait sur l’étang Lelu, vaste réservoir naturel, entouré de hautes futaies et où vient se désaltérer tout le gibier à poil et à plumes des bois environnants. Aussi quel magnifique champ d’expérience pour les braconniers, les amateurs de trébuchet, de pipeaux et de gluaux, si le garde du Fourneau ne faisait point bonne veille.

 

charbonn En contournant l’étang, au sud, on découvrait sur la droite un sentier qui conduisait à la vente des charbonniers, beaucoup plus rapidement que la route forestière. La colonie, à la file indienne s’engagea dans le sentier sinueux, souvent barré par des branches de cépées dont les rameaux fouettaient le visage, ou traversé par de grosses racines qui accrochaient les pieds au passage. Bientôt une âcre odeur de fumée se répandit sous la feuillée.
Les charbonniers n’étaient pas loin. En effet, à travers les arbres, on aperçoit les meules à charbon, les unes fumantes et déjà affaissées, les autres plus élevées, conservant encore leur forme primitive ; là, un emplacement préparé, ici un fourneau en plein démontage, et, sur la droite, la loge des charbonniers, aux parois formées de grosses branches et de feuillage, et à la toiture de mottes de gazon. Dans la vente, ne restent debout que les gros arbres et les baliveaux, marqués par les gardes d’un anneau de couleur rouge. Il y a de l’air et du soleil dans ce coin. Il y règne une grande activité. Les enfants s’approchent, et aperçoivent quatre compagnons surveillant les meules. Le maître charbonnier donne aux écoliers des détails sur la cuisson du charbon.

"On se figure que notre besogne est douce, dit-il, et qu’une fois la meule montée, nous n’avons plus qu’à croiser les bras. Oh ! que nenni. D’abord le dressage est un travail qui demande beaucoup de soin. Il faut bien choisir son emplacement, pas trop loin du chemin, et suffisamment à l’abri du vent. Quand vous avez fait votre choix, vous mesurez une longueur de cinq à six mètres ; c’est le diamètre de la meule. Au centre, vous piquez en terre des perches, vous dressez les premiers bâtons, vous appuyez dessus une première rangée de rondins, puis une seconde, une troisième et ainsi de suite, jusqu’à l’extrémité du cercle. Sur cette première couche, vous en posez une deuxième et pour chaque couche vous rétrécissez les rangées de manière que la meule achevée ressemble à un grand entonnoir renversé. Voilà notre meule dressée : il faut maintenant l’habiller c’est à dire la couvrir de telle sorte que l’air ne puisse pénétrer à l’intérieur. Pour cela, on la recouvre de brindilles, sur lesquelles on applique une couche de terre fraîche d’abord, puis une dernière couche de cendre noire provenant d’un fourneau éteint.
Il reste à mettre le feu. Dans le vide laissé au milieu, entre les perches verticales, on jette quelques poignées de brindilles enflammées. La meule est allumée, le courant d’air s’établit et le bois commence à brûler.
Lorsqu’on s’aperçoit que la fumée devient noire, il faut fermer l’ouverture, puis quelques heures après, redonner un peu d’air. Le charbonnier est un peu comme le mécanicien : il doit toujours être maître de son fourneau. Tantôt le feu marche vite ; il faut alors boucher les ouvertures avec de la cendre, tantôt c’est le vent qui veut découvrir la meule… Un quart d’heure d’inattention et tout est perdu."
Peu à peu cependant, quand tout a bien marché, le feu se ralentit la meule s’affaisse doucement et la cuisson est terminée. Le fourneau est éventré et le charbon apparaît, noir comme la prunelle des bois, dur et sonnant comme le métal. Il ne reste plus qu’à le mettre en sacs et à attendre le passage du voiturier. Le maître charbonnier, en homme avisé, qui connaît la valeur du temps se dirigeait vers un emplacement préparé et là, aidé d’un compagnon, commençait le dressage d’une nouvelle meule…"

Extrait de : Trente jours de colonie scolaire de Camille Mulley – 1890
Article paru dans le Puisayen de Juin 1996